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ALAIN GAUDEBERT
LE FOU DU FEU
Par Dauphine Scalbert Article écrit pour la
Revue de la Céramique et du Verre
mai/juin 2003 (No. 130)
C’est un homme du feu, vif et à l’écoute. Sa relation est
Intime avec son four, il l’alimente en bois blanc à l’intuition en
Guide la flamme qu’il pousse ace son ardeur presque animale ;
pour cuire les grès modelés ou tournés, émaillés de couleurs vives et
chatoyantes, ou bruts, de textures minérales complexes.
Ce sont des défis à la terre et au feu, relevés avec brio, parfois
multiples sur une même pièce qui peut être recuite jusqu'à ce que
satisfaction s'ensuive. Le travail et l'expression d'Alain Gaudebert
sont variés, les parois internes du four, couvertes d'émail, de cou-
leurs et de brillance témoignent de cette créativité effrénée. Si le
four est outil indispensable et témoin de son œuvre, l'âtre de sa
maison est également parlant : autour de cet âtre, cinq grosses
pierres de taille disposées en hémicycle sont polies et rendues
brillantes par l'usage, par tant de convives assis autour du feu, et
nombreux sont les enfants, petits-enfants et visiteurs ; au-dessus de
la cheminée, une murette du four a été là démontée, ici remontée
pour rêver de la trace du feu.
Cette maison en bordure de Puisaye est remplie à foison d'un
amoncellement minéral apte à satisfaire la curiosité et l'émerveillement de son maître.
Il y a les cailloux ramassés au cour des marches, les fossiles dont la
région regorge, les coraux, les brachiopodes, les éponges, les
morceaux d'animaux de pierre. Il y a les pots qui ornent et peuplent
les étagères, et les marches, et les recoins de la maison ainsi pleine
de vie. Jusqu'à l'encombrement, ce sont pots de référence, pots
choisis soigneusement, ceux des amis, des collègues, leur présence
affective ; puis les marmites des tropiques, les jarres pour le plaisir
d'une caresse de la main, de la jouissance du souvenir, pots qu'il
faut garder à portée du regard pour le travail à suivre. Ils meublent de
courbes, de positions, d'attitudes la salle commune et la
cuisine. Si l'attention qu'Alain porte aux objets est grande, l'attention
portée aux gens est extrême, et là encore, la curiosité
égale le respect.
Peut-être avait-il appris cette ouverture à la maison où son père
éditeur conviait les artistes et les gens de lettres ? Nous-mêmes
aurions rêvé de rencontrer les grands tels Malraux, Paul Fort et
d'autres dans ces circonstances !Mais la réalité ne fut pas tendre
pour le gamin qui baladait de réels rêves sur le port de Nantes.
Dénié son souhait d'entrer aux Beaux-Arts, il devint pilotin dès
l'âge de quinze ans, ainsi nourrit et logé, remplissant ses indispensables carnets
de bord d'observations sur les techniques de pêche, sur le comportement des
marins... et ce soin, cette soif de connaissances se retrouvent dans
son travail de céramiste. Je m'étonnai que ce fou de feu ait pu
passer cinq années pleines sur la mer. « J'ai besoin d'un contact
fort avec les éléments, aussi contradictoires soient-ils ! »
Marine, chantiers, industrie, vingt ans après...
Alain Gaudebert s'installe à Saint-Aubin-Châteauneuf pour
des raisons familiales et pratiques, c'est là qu'il « rencontre »
les pots de grès de Puisaye et leurs couleurs et coulures dues au
feu. C'est là aussi qu'il découvre la terre et le tour du potier. En
1972, il apprend à Ratilly les bases de la céramique que
Norbert Pierlot place très haut, les deux hommes parlent de terre, de
philosophie, de littérature et d'art.
Deux semaines de stage sont peu, mais la force d'attraction devient
irrésistible pour l'obstiné qui va observer intensément les ateliers
poyaudins, attentif aux informations et aux conseils. Les rencontres
avec Ivanoff le choquent, le bousculent, le bouleversent, et
le marquent pour toujours. De sa visite chez Deblander à l'heure où
celui-ci cuit encore du grès très pyrite dans un vieux four couché,
il retient la puissance du feu de bois. Il est aussi l'un des émules
de Carriès, séduit par ses émaux mats avec leur éclat de pierre, il
s'interroge sur les déformations et les coups de poing sur ses pièces
tournées. Il a besoin de l'émail, non en tant que tel, mais pour
l'expression picturale. A la bibliothèque de la manufacture de
Sèvres, il engrange des centaines de recettes, lit les notes de
Salvetat, de Vogt, il étudie de très près l'histoire de la céramique du
XIXè siècle, avec Chaplet,
Dalpayrat, pour essayer de comprendre ce qui a amené les
œuvres de Carriès et Ivanoff. Au Royal Collège of Art de Londres,
il s'entretient avec le père de son ami Lusardi qui lui fait connaître
les livres de Rhodes et des autres Américains.
Les vieux pots d'usage qui avait été abandonnés dans la mai-
son en mine de Saint-Aubin sont aussi devenus ses maîtres,
infaillibles par l'équilibre et la permanence de leurs formes,
modèles pour le tournage auquel Alain s'adonne avec rage afin de
maîtriser ce moyen d'expression. Ivanoff l'a tant inspiré et stimulé
que ses premières cuissons sont pour l'émail. Il a construit un four
de type canadien - à flamme renversée, avec un seul alandier en
forme de V qui distribue la flamme au pied de deux murettes
latérales - four qu'il utilise aujourd'hui encore, le cuisant
vingt-cinq ou trente fois par an, et en reconstruisant périodiquement
les murettes mangées par le feu.
Terre et forme
L'urgence et la pression de l'expression à outrance donnent
lieu à plusieurs modes et techniques simultanées. Le tour est
l'outil de l'usuel bien-sûr, et l'usuel est un tremplin. Il s'agit
de tasses, de bols, de bouteilles, de boîtes, et ces objets deviennent
vite des pièces uniques au décor élaboré qui revient vers la peinture et le dessin. Quand il a
besoin de surfaces plus amples, Alain tire de très grandes plaques
« comme ça », le geste de ses mains en esquisse d'un mouvement bref
l'évidente simplicité qu'il assemble et met en forme, qu'il estampe dans un moule de
biscuit déjà gravé, ou sur lesquelles il pose et modèle sa
découpe de rubans, graphismes qu'il assemble et met en forme.
Pour les très grosses boîtes « fossile », il assemble de grandes
plaques fines et légères sur un support tourné, travaille très soigneusement les
jointures tout en défiant le poids et l'équilibre de
ces « morceaux de bravoure ». Les pans de ses boîtes sont ornés
de poissons et de taureaux figurés ou abstraits et ces archétypes des
forces du feu et de l'eau reviennent sans cesse sur les pots, sur
les panneaux muraux, sur les prouesses de finesse et de légèreté
que sont ses papiers d'argile et de porcelaine, sur les faces des
sculptures totémiques. Les boîtes alors détachées de leur fonction,
s'agrandissent et deviennent jarres ou totems, leurs couvercles
sont souvent de petites têtes de taureaux, ces animaux se retrouvent en séries de masques sur le
mur, leurs yeux, leurs cornes, thèmes encore récurrents, ne sont
parfois plus qu'un graphisme abstrait dévoilé par le relief que sou-
ligne l'engobe plus clair. Les poissons « croqués » dans les
aquariums semblent ramenés à leur état fossile, ils ont traversé le
feu. Bravant la nature elle-même et la nature des matériaux, c'est
ainsi que ce céramiste aime travailler, pour la taille magistrale de
certains pots et certaines sculptures, pour l'incroyable finesse
des papiers porcelaine, pour les couleurs étonnantes du cuivre,
« je me suis battu pendant des années pour résoudre les problèmes techniques et obtenir des
possibilités considérables », et toujours en prenant le risque de
cuire ces pièces au bois.
Oui, les tributs à payer au feu de bois sont lourds, les accidents
sont nombreux et variés, mais ce type de cuisson est le seul possible, le feu
doit laisser des traces de son passage, les flammes, la
cendre, une certaine fureur. Les pièces sont recuites quand l'inter-
action du feu n'a pas été suffisamment éloquente. Les chutes
d'une scierie proche de Saint-Aubin fournissent le combustible,
c'est du bois tendre, du peuplier, du bouleau, du sapin, qui s'en-
flamme tel des allumettes. Le bois blanc fendu fin brûle comme
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Suite de l'article:
La cuisson
l'éclair, la chaleur qui s'en dégage est violente mais brève.
Le four lors du grand feu exige beaucoup, le cuiseur jette avec
adresse ses bouquets de longues baguettes, referme la petite porte
de fonte de l'alandier, prépare le combustible pour la charge sui-
vante, veille durant quelques minutes, écoute le rythme des
crépitements fous, ceux-ci s'adoucissent, il reprend sa danse
effrénée... La température monte jusqu'à 1300° en douze heures.
Les céramistes s'accordent avec un type de four et un mode
de cuisson suivant leurs besoins et leur tempérament ; les cuissons
chez Alain Gaudebert n'ont rien de tranquille, rappellent plutôt un
corps à corps ardent avec l'élément feu. La petite ouverture
pour l'œil, vers l'intérieur et sur le feu, qu'on appelle le regard, est
ici une fenêtre minuscule mais véritable, munie d'une vitre et
ornée d'un joli cadre travaillé d'argile et de sable. La couleur
passe du ténu orangé (600°) au blanc éblouissant (1300°), les six
montres fusibles disposées à la queue leu leu pointent, se plient,
se couchent à intervalles autant que possible réguliers, le cuiseur
observe la vitesse de la flamme, est attentif à l'alternance oxydation, réduction.
Le feu réclame de l'air, Alain aura débraisé deux ou
trois fois au cours de la cuisson, le visage et les mains couverts, à
l'abri de l'intense chaleur. Lorsqu 'enfin il atteint son but et
ferme méticuleusement les ouvertures avec des briques et de la
patouille d'argile et sable fin pour que ne vienne à pénétrer
aucun filet d'air froid - il balaye le champ de bataille, range les
accessoires, et là, un très beau calme prend place, une vraie
fatigue aussi. Une trêve dans le rythme de travail du potier suit la
cuisson du four à bois qui refroidit lentement, très lentement.
Attente. Pour ce four plus haut que large, elle durait deux jours,
mais après cinq cents cuissons et la vitrification totale des voûtes et
parois, elle s'étale sur... quatre jours, et ni l'impatience ni l'urgence n'ont
de recours. Il arrive encore qu'Alain perde des pièces,
les fentes de refroidissement claquent et sonnent d'un coup sec,
ainsi lors de la dernière cuisson de décembre, pour que les pots
des enfants arrivent à l'heure au pied du sapin.
l'émail
L'émail est toujours onctueux et généreux. Et transparent et pro-
fond. Je me souviens qu'un soir, dans la hâte pour terminer l'enfournement,
Alain posait delà la septième couche d'émail sur un
très grand vase engobé avec un petit pinceau dur et élimé, d'une
touche verticale suivie d'une touche horizontale, délicatement
mais très fermement pour qu'adhère cette poudre presque sèche
sur l'épaisseur antérieure, et qu'elle ne vienne ni à peler ni à
s'écailler. Il est obstiné, tenace et cherche sans relâche, pour obtenir
au sortir du four, une lumière dense et sereine d'une intense
profondeur. Le rouge de cuivre a ses mystères et ses résonances de
pays exotique et lointain. Il est aussi un défi technique associé
depuis trois ou quatre ans au bleu, au vert de cuivre, au jaune d'uranium,
aux reflets d'eau, de ciel et de feu que Chaplet eût aimés.
Alain va jusqu'à la limite des matériaux, les brutalise éventuellement,
ose l'alliance de la mesure et de la stricte rigueur
dans la composition de l'émail à l'utilisation effrontée d'engobes
ou d'oxydes bruts : ainsi, attendent la cuisson une série de bouteilles crues,
le col engoncé dans l'épaisse poudre blanche et un
ruban de cuivre doré ; et ces bols aux formes tourmentées, sur les-
quels la limaille de cuivre a coulé comme d'obscures larmes, traduisent le lourd poids de deuils trop
cruels. Plus de lumière et la technique sans cesse affirmée donnent
lieu à des matières surprenantes : dernière en date, l'engobe blanc
que séchage et cuisson ont fait écailler et tressauter, est violemment mêlé au rouge de cuivre.
Pour sa palette d'engobes, Alain dispose d'une vingtaine de compositions de terres à grès, à
brique, pour faïence, porcelaine, et oxydes purs, mêlés, limailles, rouille, sables....
Transmettre
Passion de la création. Lorsqu'il est sollicité pour enseigner, il le
fait avec totale conviction et générosité pour communiquer... la passion de la création.
Il choisit pour ses élèves aussi des projets en forme de défis, construisant par
exemple pour les petits de maternelle un solide four « raku » à bois
comme nous en rêverions ; Ou encore il guide les turbulents
jeunes des classes difficiles vers de grandioses sculptures collectives
associées à la publication de leurs poèmes.. .Ces jeunes avaient fabriqué en l'an 2000 soixante-quinze
grands spectateurs d'un match de football, leurs expressions et gestes vigoureux résultant d'un
passionnant travail d'équipe. J'ai admiré l'adresse d'Alain pour
enfourner en une après-midi ces soixante-dix sculptures et l'entre-
lacs de soixante-dix paires de bras et de jambes dans les 2 m3 d'un
four couché, les pots de fleur destinés aux marchés étaient les cales
et les soutiens de cette très belle installation.
Totale confiance et conviction encore ont permis à Alain de
mener à terme des projets de formation et de création d'entre-
prises familiales à Mayotte, où il a passé deux ans et demi. Pour la
richesse et la générosité des hommes des pays du Sud, pour
l'exubérance végétale et minérale des tropiques, il eût aimé rester...
il en est revenu avec un foisonnement de croquis, esquisses et
peintures de taureaux et poissons, « à Mayotte, on pêche encore le
cœlacanthe ». L'enseignement prend beaucoup de temps, fabriquer et créer est encore possible,
« mais rentrer dans un travail, retendre, le pousser jusque dans
ses confins demande une attention soutenue qui ne supporte pas
les interruptions ». Parlant des groupes, des collectivités, des
collègues, peut-être puis-je noter ici la foi et l'enthousiasme
d'Alain pour participer aux projets collectifs et associatifs : ainsi
était-il il y a vingt ans membre fondateur de l'association des
Potiers créateurs de Puisaye, et chaque été, il expose à Treigny
dans l'Yonne, puis il retrouve son âme de nomade pour participer
aux marchés potiers (les Tupiniers de Lyon, Saint Leu-la-Forêt, Melun…).
Très jeune, Alain Gaudebert visitait les musées, et y faisait des;
croquis... de pots, sans connaître sa future profession. Il a toujours
été très sensible à la poterie d'usage et à son vocabulaire
imtemporelle, bouteilles et leurs silhouettes, pots, leurs panses et
leurs assises, bols, leurs pieds, leurs galbes et leurs lèvres. Il a
toujours écrit, peint, dessiné, utilise l'encre et le pastel, l'acrylique, l'huile et la colle sur des
supports classiques, bruts ou incongrus. Il ne peut concevoir le
travail céramique sans 1'avoir esquissé, ni l’émaillage avant sa
mise en couleurs au crayon gras sur le papier. Produits d'une
recherche élaborée, d'une lente évaluation, d'une perpétuelle évolution, les pots et les sculptures
d'Alain ont un usage décoratif tourné vers l'usage symbolique
ainsi, les boîtes, bouteilles et jarres seraient-elles destinées a
conserver pour offrir, les bols et les plats seraient-ils destinés i
servir pour partager, tous sont chargés du poids et de la force
des symboles.
Dauphine Scalbert
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